Je suis Femme.
De toute Éternité.
Même au plus près de mes renoncements, même au plus près de l’oubli de moi-même, mon corps ne l’a jamais oublié. Au milieu des tourments les plus noirs, brille encore l’éclat insaisissable de mon essence, restée intacte dans un Monde Souterrain perdu sous ma chair. Impossible de dissoudre cet absolu, mélangé comme un ciment à mes cellules, et dont secrètement je désire la manifestation intime.
Pourtant chaque jour, comme une pierre lancée dans l’eau et s’enfonçant dans les profondeurs, l’oubli m’a tenue prisonnière des Ténèbres.
C’est captive de cet oubli que j’ai vu mon sang se répandre et quitter mes veines.
Transformée en statue de sel, les pieds collés et immobilisés sur ma Route, il fallait tant de larmes pour me rendre à nouveau vivante.
Vide depuis si longtemps, j’avais oublié mon ventre, grand comme la mer, mouvant, profond, capable d’engloutir, de donner, de bercer.
J’avais oublié cette Coupe précieuse, porteuse d’une Connaissance ancienne, indicible et mystérieuse.
J’entends les Cris de la Terre.
J’entends les cœurs semés dans la nuit qui pulsent une danse méconnue.
Mes pieds s’éveillent et prennent la cadence.
C’est doux, profond, comme un chant oublié, une pulsation gigantesque et pourtant secrète, sourde, qui existe depuis toujours.
C’est une Onde qui se propage, bute sur les cailloux des chemins, gravit les montagnes, dévale les pentes, tourbillonne dans les cheveux des arbres, caresse les coquelicots sans les effeuiller, jaillit avec le clapotis des sources et galope derrière les chevaux en liberté pour toucher mon cœur, là, tout au milieu de moi.
C’est comme un courant électrique qui traverse les Ténèbres, s’enroule autour de mon corps, palpite sur ma peau pour pénétrer l’Impénétrable.
Pour ouvrir tout ce qui reste fermé, clos, étanche.
Pour délivrer tout ce qui reste séquestré, enseveli, engourdi, en sommeil.
C’est comme l’Appel du Tambour du Chaman. Comment ne pas y répondre ?
Ne pas pouvoir y répondre, c’est creuser une tombe en moi, c’est laisser les plaies ouvertes, sans possibilité jamais de pouvoir cicatriser, c’est sentir ma Lumière Intérieure s’affadir, c’est sentir les larmes se geler, c’est recevoir le Baiser de la Mort.
J’entends mon cri de femme blessée et aveugle, je sens combien palpite mon cœur, tendu comme ce Tambour qui résonne au creux des forêts.
Combien de larmes faudra-t-il encore pour passer de l’autre côté du Miroir, déchirer enfin le Voile et voir à nouveau avec mes yeux de Prêtresse ?
Mon cri retentit depuis toujours, ma parole cherche sans cesse à renaître, là où elle fut prisonnière.
Mon langage est né de l’aube et fut béni par la mer. Il coule comme les rivières qui retournent amoureusement vers l’océan.
Mais Femme je suis. Gardienne de la Terre, si je suis muselée, ce sont les steppes sauvages, les forêts et les prairies qui disparaîtront. Ce sont les louves qui cesseront de prier sous la Lune, les oiseaux qui seront privés de leurs chants.
Tout en moi résonne avec la Terre, mon Âme est emportée par les rivières, par la Force du Vent, par le frémissement des arbres, par le grondement du Tonnerre.
Elle est appelée secrètement par le Chant des Sources cachées dans les Entrailles de la Nature.
Femme je suis, simple créature vibrante, avec une Âme affamée qui brûle comme une flamme.
Ma maison est la Nuit, ouverte comme un livre. Elle offre ses Secrets comme autant d’Étoiles qui tombent sur moi.
La Lune est mon miroir. Je n’y vois jamais mon visage, seulement celui de mon Âme rendue transparente et ardente.
Une seule Étoile m’inspire, Celle qui parle de l’envers de moi, comme une chair oubliée dans un lien défait.
Celle qui porte ton Nom, signature gravée dans un Parchemin Éternel.
Dans ma Nuit Intérieure, je t’ai sans cesse cherché, ombre vacillante brillant comme un diamant noir.
Animale et sauvage, incomplète et infirme, j’ai rêvé de ton pas pour marcher dans la Vie, souple comme l’herbe.
T’oublier, ce serait devenir de pierre, ce serait ramper dans le Fleuve Noir de l’Ombre, ce serait rouler comme des flots impurs, sans pouvoir me reconnaître dans le miroir de l’eau.
Mais les Portes du Ciel se sont ouvertes, telles des écluses libérant leurs Eaux puissantes où coule ton souvenir.
Gardienne de la Terre, je garde aussi les Portes de ton Royaume.
Je suis comme une grotte, fermée dans l’attente de ton désir, ouverte par ton désir manifesté.
Désir tendu comme un pieu pour amarrer ma barque à ta rive.
Femme Sauvage, brûlée dans mes Terres Intérieures, je suis jetée dans l’Éternité si je touche ton cœur d’homme.
Alors je courre sur la Terre en claquant mes talons, dans une danse faite pour te capturer.
Ma science sera parfaite, elle sera cachée, voilée, mystérieuse, pour déjouer les pièges tendus par ton insaisissable Liberté et pour mieux servir les Mystères de la Vie.
Il faudra que je me fasse douce, que je pétrisse ma Terre, que je la laboure de mes Rêves.
En tissant ma Toile, je tisserais nos vies.
Les yeux fermés, la pensée ouverte sur la nuit étoilée, je serais le Passage offert à ton destin.
Je sais qu’il te faudra creuser mon Féminin, l’apprivoiser, le questionner.
Je sais qu’il me faudra m’habiller de Lumière pour préparer mes filtres, me parer de Patience pour capter ta Force, pour te contenir, t’envelopper et te guider lentement vers l’Amour.
Doucement, tu mettras tes pas dans mes mots.
Femme je suis.
Alors je te cherche, toi, pour unir ma Terre à ton Ciel.
J’attends d’être touchée par ton Épée de Lumière, j’attends que ton corps traverse ma chair jusqu’au bout des Étoiles, illumine et mon Cœur et mon Âme.
Je sais dès lors que je pourrais être présente à l’Essentiel, pour t’accueillir et t’agrandir dans l’Amour partagé, nos deux corps filtrant l’Amour comme deux roches transparentes.
Comme une Matrice, je garde l’empreinte de nos retrouvailles, laissée depuis la Nuit des Temps dans ma chair, comme un Sentier à retrouver.
La Terre est mon ventre, elle reste ma Mère, mon Initiatrice, pour guider mes pas vers toi.
Sous mes pas, la terre est détrempée, molle et noire. L’odeur de l’humus pique mes narines.
Je sens son humidité qui vient chercher l’humidité de mon corps.
Là où les choses fermentent, se multiplient doucement dans un devenir encore incertain, non défini, en attente.
Je sens l’Humidité de la Terre qui vient parler à mon Humidité de Femme.
Je sens une Terre meuble à l’intérieur de moi, une Terre où tes pas ont laissé une trace profonde, à la fois comme une blessure mordante, mais aussi comme un long Chemin bordé d’Amour.
Une Terre porteuse de Semences secrètes enfouies profondément. Il suffit d’attendre.
Attendre que les cailloux remontent à la surface, pour nettoyer la terre, la tamiser et la fertiliser.
Attendre que le soleil revienne, que ses rayons chauffent et assèchent la terre là où elle est encore inondée de larmes. Alors la Matrice pourra laisser germer ce qu’elle garde en elle comme un Trésor.
L’attente est comme la Saison de l’Automne.
Et à l’Automne, il est encore trop tôt pour savoir ce que donneront les semences.
Certaines n’auront pas résisté à la morsure de l’Hiver, brûlées par la neige.
D’autres n’auront plus la Force d’éclore, englouties et mangées par la Terre.
D’autres enfin seront appelées.
Dehors sera plus fort que dedans. Dehors sera plus fort que la moiteur.
La Vie prend toujours ce dont elle a besoin.
Je serai pétrie, aspirée, appelée, une saison prochaine.
Qu’est-ce que la Terre aura gardé, sans jamais me le rendre ?
Que m’aura-t-elle donné, sinon à voir mon Essence de Femme, à tenir comme un Flambeau pour éclairer les Ténèbres ?
Michèle Théron
Illustration : Artiste inconnu(e)
☥ Christelle Gacon - Honorer le Féminin Sacré ☥
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